LA SURVIE de l'usine Volkswagen de Forest est désormais promue au rang de cause nationale en Belgique. Oubliant pour un temps ses déchirures communautaires, le pays a réagi à l'unisson à l'annonce de 4 000 suppressions d'emplois sur le site bruxellois de la marque allemande. Cette décision répond à des « considérations nationales », germano-germaniques, s'est insurgé le premier ministre, Guy Verhofstadt. Même la Fédération des entreprises belges - l'équivalent national du Medef - a critiqué le caractère « politique » de cette restructuration, ne répondant, selon elle, à aucune « logique industrielle ». « Au board de VW, 50 % des voix sont détenues par les syndicats allemands et 25 % par le Land de Basse-Saxe. La direction générale a subi une énorme pression pour rapatrier la production de la Golf en Allemagne », explique Rudy Thomaes, administrateur délégué de la FEB. S'ils reconnaissent l'existence de surcapacités européennes dans le secteur, les experts belges de l'automobile démentent les affirmations de leurs homologues allemands, selon lesquelles le site de Forest serait trop « vieux » ou « inadapté ». « Sous différentes formes, les pouvoirs publics belges ont accordé de multiples aides à Volkswagen. Il serait logique que la société rembourse certaines d'entre elles », suggère Robert Plasman, directeur du département d'économie appliquée de l'Université libre de Bruxelles.
Attractivité
Pour la région bruxelloise, qui affiche un taux de chômage de 21 %, le choc est brutal, bien que 6 % seulement de salariés bruxellois travaillent sur le site de VW (58 % sont flamands et 36 % sont wallons). Selon des études, les nombreux jeunes immigrés que compte la capitale sont souvent victimes de discriminations au travail. Les sous-traitants de l'usine de Forest sont également menacés, à l'image de ce fabricant de garnitures de portes de Golf, qui emploie près de 200 salariés, dans la région capitale. Au total, 12 000 emplois pourraient être supprimés. « L'automobile emprunte la même voie que la sidérurgie en Wallonie », lance Didier Coubeau, un militant de la CSC, la centrale syndicale chrétienne.
Cette crise tranche néanmoins avec le dynamisme retrouvé de l'économie belge. Naguère lanterne rouge de l'Europe pour ses finances publiques, Bruxelles devrait afficher un excédent budgétaire en 2007 ainsi qu'une forte réduction de sa dette (84 % contre 103 % en 2002). Ses prévisions de croissance sont supérieures à celles de la zone euro. Certes, le patronat belge s'inquiète de la dérive des coûts salariaux horaires : entre 1996 et 2006, ils ont crû de 1,5 % plus vite que la moyenne enregistrée aux Pays-Bas, en France et en Allemagne. Mais la FEB vante aussi l'attractivité de la Belgique, se félicitant de l'annonce récente, par le groupe Johnson & Johnson, d'un investissement de 130 millions d'euros sur son site pharmaceutique de Geel (Flandre).
Les décisions prises par les états-majors « étrangers » relatives aux fleurons nationaux de l'économie suscitent des réactions épidermiques en Belgique. Ainsi en va-t-il de l'usine de Forest, jugée « très compétitive » et « victime » d'arbitrages dépassant l'échelle du royaume. De même, Bruxelles n'a jamais digéré la liquidation orchestrée par Swissair, il y a quelques années, de la compagnie aérienne Sabena.
L'été dernier, la prise de contrôle d'Electrabel par le français Suez avait aussi suscité de vives critiques. « Il ne faut voir aucun caractère nationaliste dans notre réaction aux suppressions d'emplois à Forest », dément Florence Coppenolle, porte-parole du Parti socialiste. Plutôt l'expression d'un petit pays divisé et ballotté dans une Europe jugée bien peu « sociale ».